Nos empreintes carbone sont toutes différentes, selon nos choix de vie, et peuvent se comparer à un budget. Je ne dépense pas comme dépense mon voisin, mes amis ou mon cousin. Tout dépend comment on décide de se loger, de se déplacer, de s’alimenter, d’investir, ou même de se faire plaisir.
Pour mesurer les différences d’impact écologique provenant de nos choix, j’ai imaginé une partie un peu spéciale de La Bonne Paye. Vous souvenez-vous de ce jeu mythique ?
Voyons un peu comment pourrait se dérouler cette partie, avec 4 joueurs imaginaires.
Comparer le bilan carbone selon le mode de vie
C’est une partie endiablée, un soir d’hiver, entre Pierre, Paul, Marie et Céline, une bande d’amis vivant tous les 4 en région parisienne.
Ils reçoivent chaque mois, non pas des euros, mais 100 kilos de carbone à émettre, soit 12 tonnes par an. Ce budget un peu spécial correspond à l’empreinte carbone moyenne des Français (un peu +, en réalité, selon les évaluations).
Les joueurs dépensent ce budget en fonction de leur pouvoir d’achat, et des choix qu’ils font pour le dépenser.
Quels sont les choix de dépense carbone des joueurs ?
Nos amis ont des niveaux de vie un peu différents. Ils travaillent tous les 4 à plein temps. Leurs priorités et leurs choix de logement, de mobilité, de consommation, de vacances, ne sont pas les mêmes. Même leurs régimes alimentaires sont différents.
Pierre, le musicien bohème
Pierre vit dans une petite maison construite dans les années 80, mitoyenne, de 80 m², en banlieue parisienne. Ses deux fils vivent avec lui une semaine sur deux. Sa chaudière, individuelle, est au fioul. Il a récemment fait installer de nouvelles fenêtres isolantes. Pas de climatisation dans son logement. Il économise l’eau chaude en ne prenant que des douches de moins de 5 minutes, et incite ses enfants à faire de même. Chez lui, il a : un frigo, un lave-vaisselle, un lave-linge mais pas de sèche-linge. Une cuisinière à gaz, une télé, une chaîne hifi et deux ordinateurs. Il a également un joli aquarium.
Pierre a conservé sa petite Twingo, qui a 10 ans et 132 000 km au compteur. Il ne l’utilise que 3 jours par semaine, pour se rendre à son travail (à 20 km de chez lui) avec un collègue. Le reste du temps, il covoiture. L’été, il part en vacances dans la Drôme, avec sa voiture. Pierre fait donc environ 7000 km par an, dont 4160 km en covoiturage.
Côté régime, Pierre ne mange plus beaucoup de viande. Il achète des fruits et légumes de saison, en circuits courts la plupart du temps, et souvent Bio. Côté loisirs et plaisirs, Pierre est assez économe. Ses achats sont réfléchis, et il privilégie la qualité et la durabilité.
Céline, digital-manager et mère de famille
Céline habite un immeuble très récent, au nord-Ouest de Paris. Chauffé à l’électricité, avec un contrat “énergie renouvelable”, son logement est certifié HQE (Haute Qualité Environnementale). Céline a besoin de détente, et s’offre de longs bains chauds plusieurs fois par semaine. L’appartement est doté de tout le confort moderne. Bien isolé, il n’a pas de climatisation.
Céline travaille Porte de Vanves, et s’y rend quotidiennement en voiture, même si c’est long et parfois éprouvant.
Céline, qui a 3 enfants (un garçon de 5 ans, et deux jumelles de 2 ans) a acheté une grosse voiture. Sa priorité est la sécurité de ses enfants sur la route, mais aussi le chic et le confort. Elle a donc choisi le tout nouveau SUV hybride Range Rover Évoque. Sa dernière Range, Céline l’a gardée 10 ans : un véritable investissement. Céline fait 25 000 km par an. Ses vacances, elle les passe avec sa famille, en Grèce. Elle traverse l’Italie, puis prend le ferry d’Ancône à Patras, aller-retour.
Céline n’a pas beaucoup de temps pour cuisiner. Elle se fait livrer des plats surgelés, ainsi que des plats à emporter (pizza, ou plus élaborés) assez régulièrement. Elle a peu de temps également pour faire du shopping, et achète principalement par correspondance, habits et objets, selon ses “coups de cœur”.
Marie, enseignante et nostalgique de la Bretagne
Marie vit seule. Elle habite en agglomération, dans une petite maison ancienne, avec un rez de jardin. Son chauffage est au bois (poêle à granulés), et son chauffe-eau électrique. Elle a fait installer un appareil de climatisation dans son salon, pour le confort estival. Aucune rénovation de type isolation n’a été réalisé chez elle.
Marie n’a pas de voiture. Elle se déplace en métro, son lycée est à une dizaine de stations de chez elle. Elle passe toutes ses vacances dans la maison de famille de ses parents, à proximité d’Audierne. Marie prend le train jusqu’à Quimper, où ses parents viennent la chercher.
Marie aime faire du shopping, elle apprécie la déco, et se fait plaisir régulièrement, ainsi qu’à ses amis. Elle mange régulièrement au restaurant, et apprécie nettement la viande grillée. Côté courses, elle achète Bio.
Paul, avocat d’affaires, passionné de ski et de voyages
Paul habite avec sa compagne un grand appartement parisien de 120 m², dans l’ancien. Il est chauffé au gaz naturel. Il a fait changer ses fenêtres, qui sont bien isolantes, ce qui était nécessaire sur le plan phonique. L’appartement dispose de tout le confort moderne, ainsi que de la climatisation (dans l’espace commun, ainsi que dans la chambre que le couple occupe).
Paul circule essentiellement en taxi. Il n’a pas de véhicule personnel. En revanche, il prend souvent l’avion, pour des déplacements professionnels intra-européens, et pour ses vacances. Cette année, il ira en Floride. Et cet hiver, il rejoindra sa compagne à Val d’Isère, en train, pour une semaine de glisse.
Paul mange peu, mais va très souvent au restaurant. Il apprécie le luxe, et les vêtements de qualité.
Déroulé de la partie
Chacun des joueurs estime avoir fait des choix en faveur de l’écologie. Pas sur tout, bien sûr. Mais chacun compte bien mettre ses choix en valeur.
Première manche
Marie et Paul, qui n’ont pas de voiture, prennent rapidement de l’avance. Céline a une grosse voiture qui retarde sa progression dans le jeu, mais compte bien se rattraper grâce à son logement neuf très bien isolé, et à son choix de prendre un contrat d’électricité verte. Quand à Pierre, il regrette de ne pas avoir isolé sa maison. Par contre, il mise sur son régime alimentaire pour avancer dans le jeu : très peu de viande, et beaucoup de fruits et légumes Bio.
A la fin de la première manche, Marie est en tête, suivie de Céline, Pierre et Paul.
Seconde manche
Céline a pris les billets pour la Grèce, ce qui la motive pour supporter les bouchons matins et soirs. Vivement les vacances ! Elle a emprunté des kilos de carbone à Pierre, dont la petite voiture largement amortie dépense peu. Pierre s’est décidé à prendre rendez-vous avec un chauffagiste pour éventuellement changer sa chaudière au fioul contre une nouvelle au gaz ou au bois, beaucoup plus écologique.
Marie annonce qu’elle a aussi des kilos de carbone à prêter, vu qu’elle n’a pas de voiture et ne prend que des transports en commun. Paul, lui, envisage de prendre un transport collectif pour ses vacances. Mais comme il s’agit de l’avion, et qu’il veut traverser l’Atlantique, il répond favorablement à Marie.
A la fin de la seconde manche, Marie est encore en tête, suivie de Pierre, de Céline, puis de Paul.
Troisième manche
Paul désespère. Son logement lui coûte très cher en carbone. Céline lui conseille de prendre un contrat d’électricité verte. Et Pierre l’invite dans la Drôme pour l’année prochaine.
“Dans ton tacot …?!”
“Prends donc le train !“, lui suggère Marie. Qui est tout de même inquiète car elle a beaucoup dépensé ces derniers mois. Mais pas tant que Céline, qui a habillé ses enfants pour l’été, et chargé sa voiture de cadeaux à destination de ses amis grecs.
Pierre, lui, continue de faire des courses exemplaires, avec des produits locaux et de saison, et très peu de viande. Il cuisine tous les jours. Paul l’invite au restaurant, pour discuter des perspectives de découverte de la Drôme. Mais il se demande s’il ne devrait pas, lui aussi, réduire sa consommation de viande grillée.
Fin de la partie !
A la fin de la troisième manche, les jeux sont faits. Céline et Paul sont très endettés. Paul a perdu, avec 1413 kilos de carbone mensuels. Précédé de peu par Céline, avec 1263 kilos de carbone par mois. Marie, 535 kilos de carbone en moyenne par mois, caracole en tête, malgré son shopping débridé. Et Pierre, pourtant fier de léguer ses habitudes écolos à ses deux fils, n’arrive qu’en seconde position, avec 724 kilos mensuels de carbone.
(J’ai calculé tous ces scores,sur le site Le Climat entre nos mains).
Marie et Pierre ont pu épargner sur leur budget carbone, et prêter leurs excédents à Céline et Paul. Bien conscients que ce budget doit diminuer avec la politique de transition écologique que le gouvernement pourrait un jour mettre en place, ils sont heureux d’avoir un peu d’avance, et ne comptent pas devenir débiteurs.
Au delà du jeu, l'idée d'un "budget carbone", qui diminuerait un peu chaque année pour faire face au dérèglement climatique, a été proposé par Pierre Calame, et exposé lors de la Convention Citoyenne pour le Climat. Il est expliqué sur le site Compte Carbone, et j'ai interviewé Armel dans cet article pour qu'il nous explique le principe de cette proposition politique.
En ce qui me concerne, je trouve que c'est une idée efficace, parfaite pour faire en sorte que tout le monde s'y mette, et comprenne bien ce qui est en jeu.
A nous de jouer !
Est-ce que vos choix ressemblent à ceux de Paul ? Ou à ceux de Marie ? Sont-il fort différents ?